La perception, interaction sensuelle avec le monde

Nos sens se sont adaptés au fil du temps à leur environnement : nos yeux répondent à nos besoins d’animal de voir le monde pour trouver de la nourriture, un abri, un partenaire, fuir. Parce que nos besoins sont différents, nos yeux ne sont pas les mêmes que ceux d’un hibou qui repère la lueur d’une allumette à deux kilomètres, ou ceux d’une abeille qui distingue les ultra-violets et peut voir des lignes (invisibles pour l’œil humain) qui convergent vers le centre de la fleur où se trouve le nectar. Le monde que je vois en tant qu’humain m’apparaît donc très différent de celui que voit un hibou ou une abeille… et, dans une moindre mesure, de celui que voit un autre de mes congénères. 
Le corps de chaque être vivant est le fruit d’une longue et profonde interaction avec son milieu, et cette interaction est réciproque : les fleurs se parent de lignes visibles par les yeux des abeilles pour être pollinisées par elles, les souris qui se sentent épiées par le hibou se font petites et rapides. 
La perception, comme le décrit le philosophe Merleau-Ponty, « est un accouplement de notre corps avec les choses ».

Et cette relation intime, cet échange réciproque et continuel entre le corps sensible et le monde animé qui l’entoure, est comme un jeu amoureux qui, à chaque instant, influe sur chacun des partenaires : en écrivant ces lignes, je m’arrête un instant pour poser ma main sur la chatte endormie à mes côtés. Je sens attentivement ce qui se passe dans la zone de contact, je sens la réaction des poils, un changement de chaleur, des micromouvements, des vibrations, une légère modification de la respiration. Je sens aussi la réciprocité du contact, ma main qui touche est elle-même touchée : ma chatte me touche autant que je la touche. 

Quand, lors de stages dans la nature, j’invite les participant.e.s à s’assoir les yeux fermés et à écouter les sons de la forêt, il est frappant pour chacun.e de constater à quel point l’environnement devient plus sonore, plus animé, plus vivant, comme si notre qualité d’écoute magnifiait le monde : les oiseaux ont entendu notre écoute et, tels des miroirs, ils reflètent notre qualité de présence en amplifiant leurs chants.  

Le monde nous perçoit à proportion que nous le percevons, et cette interaction sensorielle et sensuelle est comme une danse du corps avec le monde, une danse de couple où les deux partenaires sont tellement imbriqués dans leur interaction et leur écoute réciproque qu’ils finissent par ne faire plus qu’un.  

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